un monde aux bords de dessin

Que signifie une chaise seule dans un espace neutre, et sur laquelle on ne peut plus s'asseoir ?
Qu'attend-elle ? Que dessine-t-elle ?
Plus qu'un trait dans l'espace. Un trait qui fut un jour une chaise. Est-ce si important cette histoire de chaise ? Ce qui est important, c'est qu'elle le fut un jour et que ce trait dans cet espace nous renvoie à une connaissance commune de la chaise : la chaise "universelle", s'il en est une, pas une chaise particulière. Ou alors… La tienne – celle que tu connais bien – et du coup en rentrant chez toi, quand tu la verras, elle te renverra à ce trait simple dans l'espace.
Meuler des objets du quotidien au maximum, jusqu'à arriver "au moment où", juste avant la chute. Les "réduire à leur maximum" pour rendre sensible l'essence, qui serait le pourquoi, la nécessité de la forme. Issus du quotidien, banals, pour justement pointer l'"habitude-obstacle" et permettre de la dépasser en les révélant tels qu'on ne les connaît pas : finalement, c'est dans chaque élément, aussi insignifiant qu'il puisse paraître, et à chaque instant, que cette rencontre avec cet "insituable" peut avoir lieu.
La fragilité pour impliquer l'autre et le présentifier : qu'est-ce qu'un objet au bord de la casse face à moi ? Quelle sera la répercussion de mes gestes ? Si l'on songe à la répercussion de nos gestes, c'est que l'activation d'une conscience est en route, et donc que d'une certaine façon le regard peut changer, que le point de vue n'est plus le même. Ce n'est plus moi qui vit le monde se mouvant en fonction de mon désir (l'utopie cinétique dont parle Peter Sloterdijk dans "La mobilisation infinie" pour désigner la modernité), mais un élément extérieur qui m'incite à changer de comportement (le monde n'est pas si docile que cela, en fait - postmodernité, donc-), sans quoi je suis poussé à devenir conscient que mes actes ont des conséquences qui me dépassent : la pièce sera bel et bien cassée. Donc : l'attention portée à autre chose que soi, renversement d'un fonctionnement.
Une chaise devenue trait dans l'espace. Une analogie du monde, peut-être : si la chaise n'est qu'un dessin, le monde qui nous entoure ne se résumerait-il pas non plus à cela ? Quelle place prend alors l'humain ?
Le monde est un dessin. Peut-on tout effacer ? Qu'est-ce qui résistera sous la gomme ? Une fois la page redevenue blanche, pourra-t-on la tourner plutôt que de réécrire l'histoire pour la énième fois ? À moins que la gomme permette d'effacer la page elle-même.
Peut-être que quand tout sera vide, donc disponible, une possibilité d'appréhender autre chose que "ce qui résiste sous la gomme" s'ouvrira. Les bords du monde auront alors été dépassés.